De l’ambiance : intitulé du projet d’échange avec les Beaux-Arts de Grenoble
mars 1995
Je décidais de réaliser un passage au silence dans cette école.
Cette performance dura deux jours.
Les accessoires en étaient : 200 anémones et un « costume de silence ».
Le visage blanchi à la manière du mime Barrault des Enfants du Paradis, un vêtement noir et ample, des sabots noirs aux semelles de bois constituaient ce costume.
La parole est tue, mais le bruit des pas est sonore sur le carrelage.
Les fleurs, une à une, sont installées dans l’école. Les emplacements n’ont pas été prémédités. Un langage chromatique et formel se déroule dans l’instant où il s’écrit : telle fleur sera choisie pour sa couleur, pour son bouton ou sa corolle très ouverte, en fonction de la vibration en tel point précis de l’école à cet instant-là. Les fleurs, offrant des notes chromatiques évocatrices, la plupart rouges ou bleues, certaines mauves, de très rares blanches, livrent mon sentiment au moment du passage.
La parole est tue, mais les mots sont présents.
Dans un tout petit carnet, j’écris un mot lorsque j’installe une fleur. Ange Leccia portera une attention fine à ce minuscule recueil, le qualifiant d’éphéméride.
Notre âme, après la longue période de matérialisme dont elle ne fait que s’éveiller, recèle les germes du désespoir, de l’incrédulité, de l’absurde et de l’inutile. Le cauchemar des doctrines matérialistes, qui a fait de la vie de l’univers un jeu stupide et vain, n’est pas encore dissipé. Revenant à soi, l’âme reste oppressée. Seule une faible lumière vacille comme un point minuscule dans un énorme cercle du Noir (…)
Notre âme a une fêlure et sonne, lorsqu’on parvient à l’atteindre, comme un vase précieux que l’on aurait retrouvé, fêlé, dans les profondeurs de la terre.
(…) l’âme émerge, affinée par la lutte et la douleur. Des sentiments plus grossiers, tels que la peur, la joie, la tristesse, qui auraient pu durant la période de tentation matérialiste servir de contenu à l’art, n’attireront guère l’artiste. Il s’efforcera d’éveiller des sentiments plus fins, qui n’ont pas de nom (…), des émotions plus délicates qui ne peuvent s’exprimer par nos mots.
A l’heure actuelle, le spectateur est rarement capable de ressentir de telles vibrations. Il cherche dans l’œuvre d’art ou bien une simple imitation de la nature (…) ou une imitation de la nature comportant une certaine interprétation, ou enfin des états d’âme déguisés sous des formes naturelles (ce que l’on appelle l’ambiance⁺).
Toutes ces formes, lorsqu’il s’agit de véritables formes d’art, atteignent leur but et constituent une nourriture spirituelle, surtout dans le troisième cas où le spectateur trouve une consonance de son âme (…) ; l’ « ambiance » de l’œuvre peut encore renforcer l’ « ambiance » intérieure du spectateur et la sublimer.Wassily KANDINSKI – Du spirituel dans l’art… – Introduction
⁺ Stimmung